Quand le soleil courre sur sa peau, malgré les nuages voilant l’horizon, l’épiderme ressent ces picotements particuliers, nourricier, qui lui paraissent parcourir tout son corps, le long de ses bras, jusqu’à ses phalanges plantés dans l’herbe. La terre calquée sur le bout de ses doigts tatoués, elle passe même sous ses ongles peints de noir, il y a comme une pulsation, un battement de cœur régulier. A moins qu’il ne provienne du tronc contre lequel Willow est adossée, assise avec ses jambes étendues. Par instant, le vent s’élève, léger, sur les feuilles entre lesquelles il se faufile. Expiration de la nature, un souffle de vie. Il n’y a personne, dans ce coin du parc que la jeune femme s’est trouvée. Tant mieux.  Personne pour la troubler, personne pour la découvrir dans cet état de faiblesse (de force ?), offerte aux fluctuations terrestres. Imperceptiblement, son battant sanguin s’emballe. Ce n’est pas bon. Will sait qu’elle doit conserver sa respiration paisible et calculée et tout ira bien. Tout va bien.
Sa grand-mère lui disait de ne pas avoir peur.

Elle est grande, Holly, elle est sage. Avec ses cheveux gris noués en une épaisse tresse d’une longueur interminable, ses tatouages situés dans le dos et sur la main gauche, la femme âgée sent un mélange de terre, d’épices et de fleurs sauvages. La liste de ses secrets est aussi longue que celle de ses conseils. Avisée, ses yeux couleur d’orage sont puissants, étincelant. Enfant, Willow est persuadée que la matriarche est capable de lire l’âme des gens. La petite aime passer son temps au sein de la vieille boutique. Elle observe la femme préparer ses décoctions, nouer des plants odorants, depuis son plus jeune âge. Plus d’une fois, elle s’est endormie dans l’atelier tant elle s’y sentait en sécurité. Pour la demoiselle, Holly est plus qu’une simple membre de sa famille, elle est un modèle. Et cette dernière est la première à être témoin du don de sa petite-fille. Sa joie ne peut être plus grande, l’herboriste de vocation y voit un signe du destin pendant que la surprise de l’enfant se change en terreur. Les arbres grandissent, tendent leurs branches menaçantes vers elle, l’herbe s’élève et les racines se mettent à croitre autour de ses jambes capturées. La respiration folle, Will n’a pourtant pas l’impression d’inspirer de l’air, elle étouffe, les sillons salés se creusent sur ses joues. Holly la prend alors par les épaules, elle lui parle, elle murmure. La petite ne comprend pas immédiatement, l’esprit ailleurs, torturé par cette nature qui l’avale. Puis, les mots parviennent à l’atteindre, une lueur rassurante, bouée de sauvetage. La forêt reprend ses droits naturels. Tout va bien.
Mais elle n’est plus là.

Il y a son père, Godfrey qu’il s’appelle et il est avant tout une voix. Un tonalité grave qui se perd dans les méandres de l’esprit. Des mots que l’enfant ne parvient à saisir. Willow est trop jeune, assurément mais, elle sait que les grands bras – qui lui paraissent ceux d’un géant – sont là pour la protéger. La large paume ébouriffe ses cheveux noirs qui restent, ensuite, dans les airs par on ne sait quel miracle. La petite Grimm éclate de rire, un rire sans retenue comme savent le faire les enfants. Rien ne semble la fâcher, à cette époque. Poupée de son père, c’est lui qui la coiffe pendant qu’elle balance ses petons dans le vide. Il grimace quand elle revient la jupe tâchée de terre et d’herbe, il ne peut rien faire face à son envie de crapahuter dès que Will se retrouve lâchée quelque part. Plus d’une fois, Godfrey la décroche d’endroits incongrus. Elle escalade tout ce qu’elle trouve, Willow. Meubles, rochers, arbres, tout y passe cependant, jamais l’enfant ne sait comment descendre. Alors, elle appelle à l’aide, elle appelle à son père qui se fait une nouvelle frayeur. Un jour, elle tombera et se fera mal, c’est ce que l’homme se dit, sans penser que lui-même pourrait chuter. Je te tiens.
Mais il n’est plus là.

Sa mère la regarde, l’air songeur. Willow penche tête sans comprendre, elle demande ce qu’il y a. Rien, lui répond Hazel avec un sourire tendre. Parfois, sa fille lui fait simplement penser à son défunt conjoint. Elle est forte, la femme, elle n’est pas une mère, comme on l’imagine, classique. Sauvage et rock’n’roll, on pense sans peine que c’est elle qui a capturé son mari au lasso. Le genre de femme qui sait ce qu’elle veut, le genre de femme à la tête dure. Will partage son style vestimentaire. Dès le début de l’adolescence, la fille a récupéré certains t-shirt de sa génitrice. Dessus, symboles ésotériques et logo de groupe de métal s’entremêlent. Elle lui peint les ongles quand Willow le demande et lui apprend même à se maquiller comme elle le fait. La grand-mère lève les yeux au ciel, elle trouve tout ça superficiel. Proche de Wil à un niveau différent de la matriarche, Hazel aurait pu tomber dans le travers du parent ‘‘bonne copine’’. Néanmoins, elle n’oublie pas qu’elle possède une enfant à élever. Sévère quand il le faut, elle tient à ce que sa fille s’endurcisse, elle veut la voir aller loin. Plus loin que la femme ne l’a elle-même été. C’est une relation de confiance qui s’installe entre elles toutes, mais aussi un entrainement quotidien. A la découverte du don de la jeunette, quand Holly enseigne la retenue, la mère, elle, l’incite à se défouler. Cette dernière voit en sa fille une puissance contenue qu’il serait stupide d’étouffer.  Tu es plus forte que tu le crois.
Mais elle n’est plus là.

Que s’est-il passé lors de ce maudit solstice ? Tout était si beau avant que le ciel ne devienne noir. Willow ressent encore cette peur, celle qui lui a étreint les entrailles lorsque les corbeaux ont attaqué. Sans savoir que faire, la jeune femme s’est cachée. Comme une pleutre, elle a abandonné les autres, ses amis, sa famille. En prenant le portail magique, elle ignorait ce qu’il était advenu de sa mère, si celle-ci était toujours en vie. L’espace d’un instant, le monde s’était retourné et tout ce qui semblait acquis avait disparu. Leurs croyances, l’ordre établi, tout a été balayé par les morganiens.
Son cœur tremble.
Willow a froid.

Elle rouvre les yeux en sentant plusieurs feuilles tomber entre ses cheveux, sur ses mains et ses jambes. Le souffle bloqué, elle observe l’arbre nu qui se meurt ainsi que le cercle d’herbe jaunie qui s’étend autour d’elle.

« Merde. » Sans attendre, la brune se lève en regardant autour d’elle. Personne. Tant mieux. Elle se presse de récupérer son sac avant de détaler à toutes jambes, serrant le contenant de tissu contre sa poitrine.
Il faut qu’elle se reprenne.
Elle n’a pas le choix.

Maintenant que, seule, elle se retrouve.

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